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L'histoire du boa

C'était le 22 novembre 1899, un jour de foire à Moirans. Or, tout le monde connait le dicton du pays : "Foire Moirans, fête Martigna ! "

Ce jour-là, pour la première fois au chef-lieu de canton, un cirque était venu, un vrai cirque, s'il vous plait, avec en plus des attractions de toutes sortes et des clowns, une grande ménagerie avec lions, tigres et ... boas.        
Une représentation donnée sur la place au début de l'après-midi, avait attiré bon nombre de personnes venues de tous les coins du canton, de Martigna bien entendu.

Le succès fut, parai t-il, complet, et nos braves campagnards tombèrent d'admiration devant trois superbes boas qui somnolaient tranquillement dans d'immenses cages métalliques.


Cependant, le fromager de Martigna (il se nommait Saillard), rentrait tranquillement après la représentation, pour faire sa "coulée" du soir. Chemin faisant, il pensait et repensait encore à ce cirque et à tous les animaux qu'il avait pu voir.

Un jeune homme en bicyclette, le rattrapa comme il allait arriver au pays.

La population devant la cage aux boas

Naturellement, on reparle du cirque et le nouveau venu, voulant peut-être se donner de l'importance, ou simplement effrayer notre ami, chose assez facile parait-il, lui annonça bientôt que le bruit courait à Moirans au début de la soirée, qu'un énorme boa de 6 mètres de long, s'était échappé de sa cage et, malgré les efforts des employés du cirque pour le capturer, s'était sauvé dans la direction des bois de Lect.

Le fromager ne dit rien, mais n'en pensa pas moins. Il avait peur !!

Après sa coulée rapidement bâclée, il remonte au village pour ne pas demeurer seul et puis aussi pour ne pas faire mentir le dicton cité plus haut.

Nous le trouvons donc à l'auberge, pleine comme d'habitude, à boire... et à parler de ce boa, qui pouvait très bien changer d'itinéraire et se réfugier dans les parages du village.

Après de nombreuses libations qui se prolongèrent jusqu'à la fermeture du cabaret, chacun étant plus ou moins lucide, notre bonhomme crut raisonnable de rentrer au chalet situé à quelques trois cent mètres du village, en direction de Montcusel.

Avant de se coucher, notre ami éprouva un besoin naturel qu'il se mit en devoir de satisfaire de toute urgence.

Le besoin naturel du fromager

A cette époque, beaucoup de personnes du sexe masculin portaient d'énormes ceintures de flanelle qui faisaient cinq ou six fois le tour des reins. Notre homme en avait une toute neuve. (Il l'avait achetée à la foire de mois précédent) .

C'est ici que l'histoire devient dramatique. Pendant que notre fromager soulageait son abdomen, la ceinture s'était déroulée sur une longueur de deux à trois mètres. En se relevant, notre ami mit le pied ... sur la ceinture, et aussitôt il se sentit fortement serré tout autour du corps.

Son sang ne fit qui un tour: "C'est le boa, pensa-t-il, c'est lui, je suis perdu". Pour comble de malheur, il faisait nuit noire... noire, comme le boa.

Notre brave se sentit perdu. Jetant un regard en arrière, il vit une forme sombre qui, pendant le long de son corps, trainait sur la route. Sa résolution fut vite prise : courir au plus vite au village et appeler à l'aide. C'est ce qu'il fit en peu de temps.


Lorsqu'il arriva aux premières maisons, une chose le rassura tout de suite : le boa avait lâché prise. Remerciant le Seigneur de l'avoir ... provisoirement épargné, il alla frapper la porte de Monsieur le Maire pour lui annoncer la terrible nouvelle.    
Le boa était dans nos murs !

Le "magistrat" (brave paysan d'une cinquantaine d' années), prit aussitôt les décisions énergiques qui s'imposaient en pareil cas. Il envoya ses deux fils réveiller le garde-champêtre afin que celui-ci "batte la caisse" pour informer les habitants que la terreur était sur le village.

Le vieux Curé, lui aussi, fut réveillé et à la personne qui vint le prévenir, il promit de faire sonner les cloches, pendant que lui-même irait prier à l'Eglise pour le succès des opérations.

En peu de temps, tout le village fut sur le pied de guerre. Jeunes et vieux, hommes et femmes, toute la population, armée de fourches, faulx, pelles, pioches, etc... de fusils (sept très exactement) se rendit sous la conduite du fromager vers le lieu de l'agression.

La population s'arme pour combattre la bête

Là, à vingt mètres, sous les yeux, agrandis par la frayeur, de la population, une forme sombre semblait dormir, sur la route blanche.

Aussitôt, le Maire en chemise et bonnet de nuit, le torse ceint de son écharpe (un autre petit ... boa), essaya, malgré la terreur que lui causait le monstre si proche, de donner ses premières instructions : "Que ceux qui possèdent des fusils, se placent au premier rang. Que ceux qui ont des fourches, des faulx, ou autres objets, se mettent en devoir d'encercler la bête ... "

La bête sur la route

Exécutés sur le champ, les ordres furent accomplis dans le plus grand silence. La nuit sans lune et sans étoiles voilait probablement la pâleur qui devait recouvrir les visages de tous les assistants. On entendait cependant des dents s'entrechoquer, un chien hurlait à la mort et le vieux Curé tirait toujours sur sa cloche.    
Il pouvait être minuit.
Le Maire fit venir auprès de lui son adjoint, le lieutenant des pompiers, et il fut décidé de passer immédiatement l'action.


Auparavant, le magistrat s'adressant ses administrés, lança ces paroles qui sont restées "historiques" :

"Mes amis, l'heure est grave. Nous devons tuer le boa. Sachez que demain, tout le monde voudra nous féliciter d'avoir débarrassé le pays de ce monstre. Courage donc, mes enfants. En arrière les fermes et les enfants, les hommes en avant !"

Les instructions du maire

Aussitôt, ceux qui avaient des fusils avancèrent un peu et tirèrent sur la bête qui faisait de grands bonds chaque coup de feu.    
- "Bien tiré, répétition !", disait le Maire. Pan ! Pan !! Le boa sautait de plus belle : "il bouge encore, feu à volonté !"

Ces braves gens tirèrent, ils tirèrent jusqu'au lever du jour, jusqu'au moment où le soleil sortant de derrière la Dôle, éclaira de tous ses feux cette étrange scène.

La révélation au lever du soleil

D'un côté, la population (en chemise pour la plupart) de ce paisible village, à laquelle étaient venus se joindre les pompiers de Moirans, prévenus on ne sait par qui , et de l'autre... une ceinture de flanelle rouge complétement déchiquetée par les plombs de plus de 200 cartouches tirées sur elle, en cette nuit mémorable du 22 au 23 novembre 1899, de minuit à six heures trente du matin.

Henri Marillier

Article publié dans le numéro hors-série du "Courrier" de Saint-Claude - décembre 48
Illustrations par Patrick VUILLIEZ

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